Comprendre le concept de slack management
Vous n’avez peut-être jamais entendu parler du management du slack, et c’est tout à fait normal, car ce concept reste relativement discret. Pourtant, vous pourriez déjà en faire usage sans vous en rendre compte. Le management du slack, ou gestion des ressources excédentaires, repose sur l’idée d’avoir à disposition plus de ressources que strictement nécessaire pour le fonctionnement optimal de l’entreprise. Cette stratégie permet non seulement de tenir sur le long terme, mais aussi de faire face aux imprévus. En temps de crise, cette méthode peut s’avérer particulièrement avantageuse.
Le terme « slack » a été introduit dans les années 1960 par Richard Cyert et James March, deux chercheurs qui ont étudié les dynamiques organisationnelles. Le slack représente des ressources en excès par rapport aux besoins opérationnels minimaux de l’entreprise. Par exemple, cela peut signifier avoir un intérimaire supplémentaire pour pallier une absence imprévue au sein d’une équipe. Mais le slack management va bien au-delà de cette simple illustration.
Regardons un exemple à plus grande échelle : la pénurie de masques pendant la pandémie de Covid-19. L’absence de stocks adéquats de masques a mis en évidence l’importance de disposer de ressources excédentaires pour faire face à des situations d’urgence. En période normale, ces stocks peuvent sembler superflus et coûteux. Cependant, en temps de crise, leur absence peut avoir des conséquences graves. Disposer de ces ressources excédentaires aurait permis de mieux gérer les premières semaines de la pandémie.
Slack management face au Lean management
Le slack management s’oppose au lean management, une théorie qui s’est popularisée dans les années 1990. Le lean management vise à optimiser les ressources au maximum, qu’elles soient humaines ou matérielles. Cette approche a notamment été adoptée dans le secteur hospitalier avec le « nouveau management public ». Cependant, en réduisant les effectifs et les lits, on a surchargé les soignants, menant à un système de soins souvent sous tension. Le slack management propose une approche différente, en intégrant une certaine marge de manœuvre pour éviter ces surcharges et permettre une meilleure gestion des imprévus.
Luc Bretones, spécialiste des nouvelles gouvernances et CEO de NextGen, pratique cette méthode avec succès. En tant qu’ancien Directeur d’une unité d’intervention chez Orange, il intégrait le slack dans sa gestion quotidienne des crises. Pour lui, l’enjeu n’était pas d’éviter les crises, mais de les prévoir et de s’organiser en conséquence. Disposer d’équipes prêtes pour la maintenance préventive et la réflexion collective permettait non seulement de résoudre les problèmes rapidement, mais aussi de prévenir les futurs incidents.
Le slack management favorise également l’innovation. Contrairement au lean management, qui privilégie l’optimisation à court terme, le slack se révèle plus fructueux à moyen et long terme. Des entreprises comme Google allouent du temps supplémentaire à leurs employés pour travailler sur des projets personnels, favorisant ainsi la créativité et l’innovation.
Luc Bretones souligne que « parfois, il faut aller lentement pour accélérer ». Cette approche, issue du management agile, encourage les équipes à prendre du recul et à réfléchir ensemble. En effet, si le travail asynchrone améliore la productivité pour des tâches bien définies, il ne stimule pas autant l’innovation collective. Prendre du temps pour la réflexion en groupe, dans un esprit de slack, permet d’émerger les meilleures idées et d’adopter une vision à long terme.
Objectifs, collègues et confiance
Le slack management se traduit également par des objectifs réalistes. Contrairement au culte de l’hypercroissance qui pousse à des objectifs élevés et souvent inatteignables, le slack management propose de fixer des cibles raisonnables. Luc Bretones confie avoir lui-même été un adepte des KPI’s, mais il a réalisé que des objectifs trop ambitieux pouvaient décourager les équipes et entraîner des effets néfastes, comme des produits mal vendus ou inadaptés. À l’inverse, des objectifs réalistes motivent les équipes et leur permettent de donner le meilleur d’eux-mêmes.
Le slack management inclut aussi des « petits arrangements entre collègues ». Cela signifie que les managers de proximité peuvent parfois dissimuler à leur hiérarchie que leur équipe pourrait en faire un peu plus, dans le but de les protéger. C’est ce que l’on appelle l’asymétrie de l’information. Par exemple, dans le domaine hospitalier, les chefs de service gardent toujours un lit disponible pour faire face à une situation imprévue, en transférant des patients vers d’autres unités si nécessaire. Bien que cela révèle un manque de ressources global, cette gestion du slack au quotidien permet de mieux gérer les urgences.
Pour contrer ces asymétries d’information, les organisations doivent se baser sur la confiance. La sociologie du travail a montré les écarts entre le travail prescrit et le travail réel, nécessitant une flexibilité pour gérer les imprévus. Les « fearless organizations » sont celles où la confiance est telle que chaque membre peut utiliser pleinement ses capacités, sans être gouverné par le stress et l’angoisse. Cette approche favorise l’émulation et l’innovation, contrairement à une gestion trop contrôlée qui bride la créativité et la prise de risques.
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